Lorsqu’il a été présenté le 20 mai à Docaviv, le festival international du documentaire de Tel-Aviv, le film The Settlers (« les Colons ») a surtout attiré les spectateurs concernés : les Israéliens persuadés que leur pays ne pourra pas, comme l’affirmait récemment Barack Obama à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, « occuper indéfiniment les terres palestiniennes ». Mais le film n’a pas été boudé par la critique. Loin de là. Outre le quotidien Haaretz (positionné à gauche), plusieurs grands journaux tels le Yediot Aharonot (droite) et Maariv (centre droit) ont appelé les Israéliens à le voir « pour se faire une idée » de ce qui se passe de l’autre côté de la « ligne verte » séparant le territoire de l’Etat hébreu de la Cisjordanie occupée. Shimon Dotan, son réalisateur, a été interviewé à plusieurs reprises par les radios et télévisions locales, répétant à l’envi qu’il avait travaillé plusieurs années sur ce projet « destiné à décrire la situation telle qu’elle est ».
Avant d’être diffusé par Arte, le film a d’ailleurs été projeté dans toutes les grandes villes d’Israël. Sans faire de vagues. Le 16 juin, dans un cinéma du centre de Tel-Aviv, nous avons entendu Dotan expliquer à une centaine de spectateurs que son but n’était pas « de déclencher une énième campagne contre la colonisation mais de raconter de la manière la plus claire possible comment nous en sommes arrivés à la situation inextricable que nous connaissons aujourd’hui ». « Je n’ai pas rencontré tous les colons mais j’en ai vu pas mal sans leur cacher mon opposition à ce qu’ils font, a-t-il poursuivi. Certains m’ont ouvert leur porte parce qu’ils comprenaient ma démarche ». « Et comment pensez-vous que tout cela va se terminer ? » a demandé une jeune spectatrice tatouée, manifestement ébahie par ce que le film venait de lui faire découvrir. « Je ne suis pas prophète mais ça devient de plus en plus difficile sur le terrain et c’est mauvais signe », lui a-t-il répondu. Certes, The Settlers n’est pas le premier documentaire consacré à la colonisation des territoires occupés. En 2005, Haïm Yavin, le PPDA israélien, qui venait de prendre sa retraite, a réalisé une série documentaire télévisée intitulée Au pays des colons. Mais le travail de Dotan est moins émotionnel et plus structuré.
Exaltés
La colonisation de la Cisjordanie et de la partie occupée de Jérusalem, mais également de la bande de Gaza, d’une partie du plateau du Golan (Syrie) ainsi que du désert du Sinaï (Egypte), a débuté immédiatement après la victoire israélienne de la guerre des Six Jours (juin 1967). Depuis, l’Etat hébreu a évacué Gaza et restitué le Sinaï. Mais la itiachvout (« installation », en hébreu) se poursuit ailleurs. Et surtout en Cisjordanie où Dotan a posé sa caméra. Ce faisant, il démontre que la colonisation n’est pas seulement l’affaire d’une minorité de Juifs exaltés croyant préparer le retour du Messie mais le fait de tout un Etat. Il pointe ainsi l’énorme responsabilité des dirigeants travaillistes des années 70 qui n’ont, à l’instar de Levi Eshkol, de Golda Meir, d’Yitzhak Rabin et de Shimon Pérès, jamais osé agir contre ces colons religieux qui auraient pu être expulsés facilement des collines où ils installaient leurs tentes. Une erreur tragique que Pérès a reconnue plus tard. Beaucoup trop tard.
La Cisjordanie occupée n’existe pas dans la novlangue officielle israélienne, qui préfère utiliser l’expression « Judée-Samarie ». Quant aux colonies, elles sont présentées comme des yishouvim (localités). Quoi qu’il en soit, les zélotes qui les ont créées, au nom du « retour du peuple juif sur la terre que Dieu lui a promise », ont souvent utilisé des méthodes frauduleuses pour parvenir à leurs fins. Le film de Dotan montre par exemple que la colonisation a vraiment pris son envol en avril 1968, durant la fête juive de Pessah, lorsqu’un groupe de faux touristes suisses dirigé par le rabbin d’extrême droite Moshe Levinger s’est installé dans l’hôtel Park d’Hébron. Profitant de la lâcheté ou de l’indécision des dirigeants travaillistes de l’époque, ces ultras ont ensuite obtenu l’autorisation de s’installer à quelques centaines de mètres de la ville pour y fonder Kyriat Arba, l’une des colonies les plus extrémistes de Cisjordanie.
Stratagèmes
Depuis, c’est toujours en utilisant des stratagèmes, des combines, voire de faux titres de propriété datant de l’empire ottoman que le Gush Emunim, le mouvement des colons aujourd’hui connu sous le nom de Yecha, est parvenu à s’enraciner sur les terres palestiniennes. Avec la bénédiction de l’administration israélienne et sous la protection de Tsahal, « l’armée la plus morale du monde » selon les dirigeants et les chefs d’Etat-major successifs.
D’après plusieurs études publiées à partir de 2010, l’Etat hébreu a investi au moins 50 milliards de dollars (soit 44 milliards d’euros) dans le développement de ses colonies entre 1967 et 2007. Un budget pharaonique auquel s’ajoutent de nombreuses aides masquées ainsi que les dépenses militaires liées à l’occupation des territoires et à la protection de leur « population civile juive menacée par des terroristes ». Près de cinquante ans après la fin de la guerre des Six Jours, la plupart des campements de tentes et de caravanes des débuts sont devenus de petites ou grandes villes dotées d’universités, d’écoles supérieures, de centres commerciaux et de zones industrielles. Là-bas, la population majoritairement religieuse de cet « autre Israël » croît trois fois plus rapidement que dans le reste de l’Etat hébreu. Grâce aux généreux subsides de l’Etat ainsi que d’organisations juives basées à l’étranger, les infrastructures y sont plus modernes et mieux entretenues que derrière la « ligne verte ».
La communauté internationale condamne. Et alors ? Les colons n’en ont cure puisqu’ils sont persuadés que rien ne peut leur arriver. Peut-être parce que « Dieu est avec eux », surtout parce qu’il est trop tard pour faire machine arrière.